• Noureddine Bhiri a été placé en résidence surveillée à Bizerte
• Son état de santé serait grave suite à un malaise cardiaque; il avait été transféré à l’hôpital
• Le comité de sa défense a décidé de porter plainte contre le Président de la République et le ministre de l’Intérieur pour «enlèvement»
• Les motifs de son arrestation seraient liés aussi à une ingérence dans des affaires de justice
• L’affaire révèle un déficit de communication de la part des autorités
Il semble que les forces anti–25 juillet sont parvenues à transformer leur conflit avec le Président de la République en lutte pour défendre les libertés et les droits civils. Le silence et le déficit de communication des autorités ne font qu’empirer la situation politique et sociale. Le cas Noureddine Bhiri le confirme.
Placé en résidence surveillée, le leader au sein du parti Ennahdha Noureddine Bhiri a été transporté dimanche dernier à l’hôpital régional de Bizerte après la détérioration de son état de santé. Dimanche soir, devant l’hôpital, un état de chaos a été observé suite à la présence devant cet établissement hospitalier de sa femme, l’avocate Saïda Akermi, et d’un ensemble de leaders partisans et autres. «Libérez Bhiri», «A bas le coup d’Etat»… C’est en ces termes que les quelques personnes présentes sur les lieux ont appelé à la libération de l’ex-ministre de la Justice. D’ailleurs, en état hystérique, sa femme annonçait même son décès suite à un malaise. «Bhiri est mort, Bhiri est mort, ils l’ont tué», a-t-elle crié, dans des scènes diffusées en direct sur les réseaux sociaux.
Au fait, le silence du ministère de l’Intérieur, qui s’est contenté d’un communiqué laconique pour annoncer vendredi «la mise en résidence surveillée de deux personnalités pour préserver l’ordre public», alimente davantage la tension. Ces deux personnalités ne sont autres que Bhiri et Fathi Baldi, ancien cadre au ministère de l’Intérieur et ancien conseiller d’Ali Lâarayedh, alors ministre de l’Intérieur.
Or, d’ores et déjà, la question de la résidence surveillée est controversée en Tunisie. Que dire lorsque le deuxième responsable partisan d’Ennahdha est conduit vers un lieu inconnu.
En tout cas, selon son comité de défense, l’endroit où le député nahdhaoui gelé a été assigné à résidence serait Menzel Jemil, relevant du gouvernorat de Bizerte. «Nous avons découvert l’identité du chef du district où le député a été placé. Il a refusé d’en parler», a écrit l’avocate Inès Harrath sur Facebook. «Le bâtonnier de l’Ordre national des avocats (Onat) s’est effectivement rendu dans le district en question pour rencontrer Noureddine Bhiri», a déclaré, pour sa part, l’avocat Anouar Awled Ali.
Samir Dilou raconte les faits
Présent dimanche devant l’hôpital, Samir Dilou, leader démissionnaire d’Ennahdha raconte à La Presse les faits. «Nous étions environ 20 personnes devant l’hôpital Bougatfa à Bizerte pour demander la libération de Bhiri ou du moins lui rendre visite pour s’enquérir de son état de santé. Nous étions surpris par la grande présence sécuritaire. L’hôpital était totalement encerclé par la police et des agents civils. Ils ont demandé à sa femme de signer un document pour pouvoir lui rendre visite, mais elle a refusé car elle ignorait l’état de santé de son mari, l’affaire est absurde, l’Etat de droit est bafoué, c’est inacceptable», raconte-t-il. Il assure que Noureddine Bhiri serait actuellement en réanimation suite à un malaise cardiaque.
Lors d’une conférence de presse tenue hier, Dillou a annoncé aussi que le comité de défense de Noureddine Bhiri a porté plainte contre «toute personne impliquée dans l’enlèvement de ce dirigeant», annonçant également que le comité en question a décidé de saisir le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme.
En effet, le comité de défense de Noureddine Bhiri a annoncé hier avoir déposé des plaintes relatives à «l’enlèvement» de son client, dont une contre le Président de la République Kaïs Saïed et le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine.
Ils ont affirmé, lors d’une conférence de presse au domicile de Bhiri, qu’il était en situation de «disparition forcée», considérant que «la décision de le placer en résidence surveillée est intervenue dans le cadre de mesures correctives ultérieures, c’est-à-dire qu’elle a été délivrée après son enlèvement et son transport vers une destination inconnue».
Encore une fois, les décisions d’assignation à résidence font polémique. En Tunisie, cette mesure est régie par l’article 5 du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence. «Le ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones», stipule ce texte. Sauf que pour les défenseurs des droits civils, ce n’est qu’un instrument liberticide mis entre les mains des autorités exécutives pour poursuivre certaines figures politiques loin de tout fondement judiciaire.
Mais pour quel motif Bhiri a-t-il été arrêté et placé en résidence surveillée ? Si ce motif était sérieux, pourquoi ne pas attendre une décision du parquet ? Existe-il un soupçon de politisation de cette affaire ? Aussi, si Bhiri était innocent et ne craignait rien pourquoi un tel brouhaha provoqué par le mouvement Ennahdha et certaines autres parties ?
En annonçant la mise en résidence surveillée de deux personnes, le ministère de l’Intérieur évoquait des motifs de préservation de l’ordre public. Si les spéculations ont commencé à fuser de partout, en essayant d’expliquer les raisons de ces décisions, ainsi que leur timing, une chose est claire, le passé du dirigeant d’Ennahdha et notamment son règne au ministère de la Justice ne jouent pas en sa faveur. Au fait, si certaines rumeurs ont lié cette arrestation aux projets d’assassinat dévoilés récemment par le Président de la République, Noureddine Bhiri serait soupçonné d’implication dans les deux procès à l’encontre de Moncef Marzouki et Bochra Belhaj Hamida, et l’annonce de procès assez sévères, dans une tentative de susciter une vague de mécontentement et de craintes sur les droits et libertés. L’objectif était en effet de transformer ces affaires en débat autour des libertés et des droits en Tunisie.
Il faut rappeler aussi que le comité de défense des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi avait accusé, à maintes reprises, Noureddine Bhiri d’avoir tenté d’entraver le processus de jugement et d’investigation dans cette affaire, et d’avoir même contribué à la dissimulation de plusieurs preuves.
Sans le nommer, Kaïs Saïed avait également fustigé les agissements de Noureddine Bhiri et les soupçons de corruption dont il fait l’objet, notamment quand il était ministre de la Justice. Il l’accuse implicitement d’enrichissement illicite et d’implication dans de nombreuses affaires de justice.
Que va-t-il se passer maintenant ? Noureddine Bhiri sera-t-il traduit devant la justice ? Ou assisterons-nous à sa libération pour manque de preuves ? Il faut rappeler que depuis le 25 juillet, plusieurs responsables partisans et autres ont été assignés à résidence puis libérés pour manque de preuves. Le Président de la République avait critiqué à maintes reprises la lenteur des procédures judiciaires et le manque de coopération de la justice tunisienne. Il avait d’ailleurs accusé une nette ingérence politique dans la branche judiciaire, révélant que plusieurs juges sont soupçonnés de corruption et d’enrichissement illicite.